« Fermez-la ! Laissez-le tranquille ! »

Mon grand frère est gentil. Il me protège toujours, coûte que coûte. Cette fois, les autres enfants se sont encore moqué de mon masque. Je ne sais pas ce qu'ils ont contre lui. Il est très joli et gentil lui aussi : dès que je le regarde, il me fixe les yeux dans les yeux et me sourit. C'est le seul qui fait ça. Même mon frère ne sourit jamais... et quand il le fait, je sais qu'il fait semblant, le pauvre... Rien que pour ça, je dois rester avec lui. Je sais que, sans moi, il se sentirait horriblement seul. Finalement, j'ai l'impression d'être le grand et le petit à la fois.


Les gens de l'orphelinat m'ont appelé. J'ai fait une bêtise ? Je ne sais pas... J'ai peur, mais je m'approche quand même d'eux. Ils sourient. Est-ce l'idée de me frapper qui les rend si heureux ? L'un d'eux approche sa main de moi. Je ferme les yeux, anticipant la douleur... finalement, je me fais seulement pousser doucement par une main semi-amicale. Où veulent-ils m'emmener ? Je regarde derrière moi. Mon frère aussi fait une tête bizarre. Il ne comprend pas plus que moi.
Ils ont fermé la porte. Je ne peux plus regarder que devant moi. Il y a une dame. Pas une infirmière. Un dame vieille, bizarre et moche que je ne connais pas. Elle n'a pas de nez et sa peau est violette. Elle essaie de me sourire pour me rassurer mais c'est encore plus effrayant. J'essaie de m'enfuir mais l'étreinte du monsieur se resserre. Il me présente la dame sous le nom de « nouvelle maman ». J'avais déjà entendu parler des mamans avant, en écoutant les autres enfants parler... je m'imaginais à tout sauf à ça ! Je ne veux pas partir, et encore moins avec elle !
Elle me prend par la main. Je tire dans le sens inverse, pensant être plus fort qu'elle. Malheureusement, il me tient si fermement que je ne peux plus faire un mouvement. Elle me traine à l'extérieur. Les gens de l'orphelinat me font « coucou ». Je crie. Ils m'ignorent tous. Je pense à mon pauvre frère, qui doit se demander ce qui se passe.  Il ne doit pas s'en faire : cette nuit, j'irai le libérer.

La dame m'a emmené chez elle. Sa maison est aussi petit et laide qu'elle. Elle est faite en bois, tient à peine sur ses fondations. Il n'y a qu'une pièce, un gros bout de bois carré trône en son milieu, et je devine que les deux amas de vêtements sales sont des lits.
Pourquoi m'a-t-elle pris avec elle ? Pourquoi sans mon frère ? Elle n'avait pas le droit ! M'avait-elle seulement demandé mon avis ? Non. C'était juste... méchant ? Que dis-je méchant ! Pervers oui ! Même... impardonnable !

La dame a crié et pleuré, mais la dame ne bouge plus. Elle s'est couchée. Ou alors elle est tombée. Elle était faible. Je lui avait à peine mordillé la nuque qu'elle s'était écroulée. Plus rien ne me retenait ici maintenant. Je pouvais m'en aller.
J'ouvris la porte. Pour mon plus grand malheur, je découvris un environnement tout à fait inconnu. Au lieu de la mer et des sentiers pavés de Port Nothos, j'avais sous les yeux une forêt de sapins. Je devais être loin de l'orphelinat. Loin de mon frère. Je perdis alors tout espoir de le retrouver.


J'ai faim. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis à la rue, depuis combien de temps je dois voler ou tuer. En tout cas, ça fait longtemps. Peut-être des années, ou des siècles. Je ne sais plus.
J'essaie de m'envelopper au mieux sous mon manteau, je serre mon écharpe autour de mon nez. Il fait froid en plus. Je ne peux même pas voler de nourriture chez les gens : eux-mêmes n'en ont pas. Tout le monde est-il devenu pauvre ? Si oui, je crois que c'est ma fin.
Je ferme les yeux, espérant presque mourir dès que je serais endormi. Pas de chance. Une voix me réveille alors que je piquais du nez. C'est une fille. Elle a un œil rouge, qui ressemble au mien quand je deviens un Skelenox. Je crois qu'elle est comme moi. Elle me dit de venir avec elle... je n'ai pas vraiment la force d'accepter ou de refuser. Vaguement, je hoche la tête, sans savoir si elle bascule vers le haut, vers le bas, vers la droite ou vers la gauche. Je tente de m'endormir encore une fois mais deux hommes me soulèvent et m'aident à marcher. Ils m'emmènent. Je ne suis pas sûr d'en être heureux. Néanmoins, je ris. Un rire qui veut dire  « Merci ».